Writing Pain: The Genesis of a Poetics of the Scar in Graphic Autopathography

https://doi-001.org/1025/17634764008924

Writing Pain: The Genesis of a Poetics of the Scar in Graphic Autopathography

Boumendjel Lilia 1, Zeghnouf Chafik 2

1 Université Constantine 1 Frères Mentouri , Algérie. Email : Lilia.boumendjel@umc.edu.dz

2 Université Constantine 1 Frères Mentouri , Algérie. Email : zeghnouf.chafik@umc.edu.dz

Received: 10.06.2025          Accepted: 11.08.2025           

Abstract

This study analyzes a corpus of eight major works of graphic autopathography to elaborate the concept of a “poetics of the scar.” We argue that this hybrid genre performs a semiotic reconfiguration of the experience of illness, transforming bodily vulnerability into a powerful form of narrative and political agency. The analysis demonstrates how specific graphic devices—sequential fragmentation, documentary hybridity, and the subversion of clinical codes—enable these narratives to challenge dominant medical metadiscourses. We define the panel of graphic medicine, as a dialectical space functioning simultaneously as a tomb (an archive materializing decline) and a womb (a site of narrative rebirth). Ultimately, this study validates graphic autopathography as a locus for the emergence of an embodied counter-knowledge, where the suffering body, through iconotextual weaving, actively reclaims authorship over its own story.

Keywords: Graphic autopathography, narrative medicine, agency, poetics of the scar, suffering body

L’écriture de la douleur : genèse d’une poétique de la cicatrice dans l’autopathographie graphique

Résumé

Cette étude analyse un corpus de huit œuvres majeures d’autopathographie graphique pour élaborer le concept de « poétique de la cicatrice ». Nous argumentons que ce genre hybride opère une reconfiguration sémiotique de l’expérience de la maladie, transformant la vulnérabilité corporelle en une puissante agentivité narrative et politique. L’analyse démontre comment des dispositifs graphiques spécifiques – la fragmentation séquentielle, l’hybridité documentaire et la subversion des codes cliniques – permettent à ces récits de contester les métadiscours médicaux dominants. Nous définissons le panel de Graphic medicine comme un espace dialectique, fonctionnant à la fois comme tombeau (archive matérialisant le déclin) et utérus (site d’une renaissance narrative). In fine, cette enquête valide l’autopathographie graphique comme un lieu d’émergence d’un contre-savoir incarné, où le corps souffrant, par le biais du tressage iconotextuel, se réapproprie activement son récit.

Mots-clés : Autopathographie graphique, Médecine narrative, Agentivité, Poétique de la cicatrice, Corps souffrant

Introduction

Le terme clinique de pathographie, initialement réapproprié par Joyce Carol Oates (1999), se construit en opposition dialectique à l’hagiographie, ce genre ancestral voué à la célébration des vies saintes. Dans une perspective critique, Oates dépeint la pathographie comme son « jumeau diminué, souvent pervers » (Oates, 1999, p. 12), un récit obsessionnellement centré sur les dysfonctionnements existentiels : maladie, déchéance, échecs conjugaux et professionnels, addictions, effondrements psychiques et scandales publics. Cette écriture du pathologique, qui substitue à l’idéalisation hagiographique une fascination pour la décomposition, s’inscrit dans une tradition littéraire où l’effondrement du sujet devient un motif esthétique et épistémologique à part entière. À partir des années 1980-1990, ce champ sémantique se complexifie considérablement avec les travaux de G. Thomas Couser (1997). Si Couser a théorisé l’autopathographie comme une « narration de soi structurée par l’expérience de la maladie critique » (Couser, 1997, p. 5), sa déclinaison graphique opère une révolution à la fois médiatique et épistémologique. En épousant les codes de l’art séquentiel (Eisner, 1985), ce genre hybride ne se contente pas d’illustrer le récit de soi ; il le reconfigure en profondeur. En effet, en conjuguant de manière innovante texte et image, l’autopathographie graphique donne corps – littéralement – à ce qui relevait souvent de l’indicible dans les récits traditionnels.

Plus radicale encore, l’autothanatographie – l’écriture de sa propre mort – s’impose comme un cadre théorique dérivé ; toutefois, c’est l’autopathographie graphique qui en permet les réalisations les plus abouties. Ce concept, bien que polysémique, puise ses racines théoriques dans la pensée poststructuraliste de Jacques Derrida (1998) pour qui « l’écriture testamentaire est toujours déjà hantée par sa propre disparition » (Derrida, 1998, p. 60). Les travaux contemporains sur l’autothanatographie s’articulent également autour des réflexions fondatrices de Paul de Man (1984) sur l’allégorie de la mort dans l’autobiographie, de Jeremy Tambling (2001) sur la mélancolie scripturaire, et des apports théoriques majeurs de Laura Marcus (1994), Linda Anderson (2001), Susan Sontag (1978), Judith Butler (2004) et Felicity Nussbaum (1989), qui explorent respectivement les dimensions politiques, genrées et culturelles de la narration thanatographique. Ensemble, ces approches éclairent rétrospectivement la puissance de l’autopathographie graphique comme médiation de résistance face à l’inexprimable.

L’hybridité formelle du récit visuverbal, Boumendjel (2018), analysée par Scott McCloud (1993), permet :

  1. de spatialiser le temps du déclin, grâce à la disposition des cases et au rythme séquentiel ;
  2. de figurer la fragmentation du sujet malade, par la distorsion des traits ou l’éclatement des planches ;
  3. de constituer un contre-discours face aux récits médicaux dominants qui objectivent et déshumanisent le corps souffrant.
  4. Méthodologie et cadre théorique

Notre recherche examine un corpus de huit œuvres majeures d’autopathographie graphique — Billy, Me and You (Streeten), Last Things (Moss), Special Exits (Farmer), Can We Talk About Something More Pleasant? (Chast), Cancer Vixen (Marchetto), Lighter Than My Shadow (Green), Marbles (Forney) et Psychiatric Tales (Cunningham) — sélectionnées pour leur traitement novateur de la maladie, du deuil et des troubles psychiques. Ces récits, par leur diversité thématique et esthétique, illustrent avec une force particulière la manière dont le médium graphique, par ses spécificités sémiotiques — usage expressif du trait, symbolique des couleurs, rhétorique de la mise en page — parvient à métamorphoser la vulnérabilité en agentivité narrative et la marginalisation subie en espace de résistance symbolique.

Il convient de préciser que l’ensemble des œuvres constituant ce corpus existe en version française, avec des titres localisés — Billy, Me and You devenant Billy, moi et toiLast Things paraissant sous le titre Les Dernières Choses, ou encore Special Exits publié en français sous l’intitulé Sorties de secours. Cependant, pour des raisons de cohérence académique et de référencement international, nous avons opté pour le maintien systématique des titres originaux dans notre analyse. Ce choix méthodologique ne doit pas occulter la dimension transnationale de ces récits, dont la circulation traduite témoigne de leur résonance au-delà des frontières linguistiques et culturelles. Nous reconnaissons par ailleurs la limitation inhérente à un corpus principalement anglo-saxon, et envisageons pour des recherches ultérieures l’élargissement vers des œuvres issues d’horizons géographiques et culturels plus diversifiés, incluant des productions francophones, asiatiques, latino-américaines, africaines, arabes, etc. afin d’explorer les variations transculturelles dans la représentation graphique de la maladie et de la souffrance.

Notre approche méthodologique s’articule autour d’un triptyque analytique : la poétique du support, qui interroge le style graphique et la mise en page selon l’approche de Thierry Groensteen (1999) ; la politique du récit, qui examine les stratégies de résistance et de visibilisation à la lumière des réflexions de Judith Butler et Susan Sontag ; et la dialectique trace/renaissance, qui explore la manière dont chaque œuvre incarne la « poétique de la cicatrice ». Ce cadre conceptuel, central à notre démonstration, s’ancre dans la théorie du « système de la bande dessinée » développée par Groensteen, pour qui « le tressage iconique crée un réseau de signification qui dépasse la linéarité du récit » (p. 50). Ces œuvres révèlent des stratégies narratives complexes où le tressage iconique et l’arthrologie deviennent des instruments privilégiés d’expression de l’expérience pathologique.

Notre investigation poursuit trois objectifs fondamentaux : comprendre comment ces récits graphiques confèrent une visibilité inédite aux maladies psychiques ou somatiques souvent invisibilisées socialement ; analyser la manière dont ils inventent une langue nouvelle pour dire l’indicible de la douleur et du trauma ; et examiner comment ils négocient une position éthique subtile entre exposition nécessaire de l’intime et risque de spectacularisation, entre témoignage authentique et mise en récit esthétisante.

La « poétique de la cicatrice » qui sous-tend notre approche mérite d’être précisée dans sa généalogie théorique. Ce concept puise ses racines dans la phénoménologie de la douleur élaborée par Elaine Scarry (1985), qui théorise dans The Body in Pain la double nature destructrice de la souffrance physique intense : elle anéantit simultanément le langage du sujet et le monde qu’il habite — processus qu’elle conceptualise sous le terme « to unmake the world ». Scarry postule cependant que cet effondrement peut être contré par l’activité créatrice et symbolique. C’est précisément par la fabrication d’objets — qu’ils soient artistiques, juridiques ou techniques — que l’être humain réinvestit le monde de sens et le « refait », restaurant ainsi, face à la négativité de la douleur, une capacité à signifier. La cicatrice se présente dès lors comme l’empreinte sémiotique de ce passage : marque de la blessure, elle incarne aussi la reconquête du langage et du monde.

Cette vision trouve son prolongement dans les humanités médicales, notamment chez G. Thomas Couser (1997) qui caractérise la pathographie comme un genre autobiographique centré sur l’expérience de la maladie et de la vulnérabilité. Écrire sa maladie participe d’un processus de subjectivation où mettre en mots un corps abîmé devient un geste de résistance et de reprise symbolique. La cicatrice y fonctionne comme métaphore scripturale, lieu où le corps s’écrit, où la douleur s’inscrit, où le sujet se reconstruit à travers le récit de sa fracture. Cette dynamique narrative rejoint les principes de la médecine narrative (Charon, 2006 ; Green, 2015), qui replace le récit au cœur de la relation thérapeutique. L’historicisation du terme « cicatrice » conduit enfin à l’inscrire dans une généalogie plus large de la pensée de la marque et de la trace, de l’anthropologie sacrificielle de René Girard (1972) à la psychanalyse du corps de Didier Anzieu (1985). La cicatrice devient ainsi, en littérature contemporaine, un opérateur de sens complexe : elle indique l’irréversible tout en témoignant du travail du temps, de la guérison et de la mise en récit.

Pour opérationnaliser cette approche, nous mobilisons la théorie du tressage iconotextuel développée par Groensteen (1999), qui envisage la bande dessinée non comme une simple succession linéaire de cases, mais comme une architecture en réseau où chaque élément visuel et textuel contribue à un système de signification. L’analyse se concentre sur trois niveaux complémentaires : le rythme séquentiel, qui organise la temporalité de la blessure à travers la fragmentation des cases et les blancs intericoniques ; les transitions intericoniques, véritables zones de suture sémiotique entre mémoire et résilience ; et la morphologie des cases — cadrage, densité graphique, modulation chromatique — qui inscrit la douleur dans la matérialité du signe. Ainsi, le tressage iconotextuel apparaît comme la trame matérielle d’une poétique de la cicatrice, où dessin, texte et silence se conjuguent pour transformer la vulnérabilité en geste esthétique et la douleur en puissance de dire.

Notre enquête s’articule donc autour de la problématique suivante : de quelle manière l’autopathographie graphique, en mêlant texte et image dans un tressage iconotextuel particulier, transforme-t-elle la représentation sémiotique du corps souffrant ? Et comment cette zone intermédiaire, faite de fragments, de sutures et de traces, instaure-t-elle une poétique de la cicatrice où la douleur cesse d’être un simple symptôme pour devenir un acte d’agentivité à la fois narrative et politique ?

À partir de cette interrogation, notre démonstration s’appuie sur trois hypothèses centrales. La première, de nature sémiotique, considère que l’autopathographie graphique met en place une véritable « grammaire de la cicatrice » où la blessure corporelle devient un opérateur de sens. Le tressage iconotextuel — par le rythme des séquences, la fragmentation visuelle et la matérialité du trait — produit une écriture du corps où la douleur se transforme en principe narratif et en moteur de construction du sens. La seconde hypothèse, d’ordre esthétique, soutient que le médium graphique possède la capacité d’esthétiser le trauma : il traduit la violence par la plasticité du signe et la discontinuité de la page. La souffrance s’y matérialise en rythmes visuels, textures chromatiques et déformations du cadre, offrant au corps une nouvelle visibilité — celle d’une mémoire mise en forme plutôt que d’une simple déchirure du réel. La troisième hypothèse, éthique et politique, envisage la poétique de la cicatrice comme un geste de résistance sémiotique. En réinscrivant le corps souffrant dans l’espace discursif, l’autopathographie graphique subvertit les métadiscours médicaux et les normes de représentation du pathologique. Elle valorise la vulnérabilité en puissance d’agir, faisant de la blessure une modalité de subjectivation et de reconquête narrative.

Ainsi, l’autopathographie graphique ne se contente pas de documenter la maladie : elle reconfigure radicalement la perception du corps souffrant, créant une véritable « poétique de la cicatrice » — concept éclairé par la notion derridienne d’« écriture testamentaire » (Derrida, 1998, pp. 57-62) —, où chaque strie du dessin fait trace autant que blessure, et où chaque case devient à la fois tombeau et utérus symbolique, trace et renaissance. Il s’agira in fine de démontrer que les autopathographies graphiques, loin de se réduire à de simples témoignages ou à des documents thérapeutiques, s’imposent comme de véritables actes politiques : une manière de « donner naissance à sa propre fin », selon la formule suggestive de Couser (2005), tout en réinventant les potentialités du récit autobiographique à l’ère des visual studies et des nouvelles formes de narration.

  1. Archéologie du déclin ou scénographies thanatographiques

L’analyse des œuvres graphiques contemporaines consacrées à la mort et au deuil révèle une véritable archéologie du déclin, où la narration visuelle se fait laboratoire thanatographique. En explorant les mécanismes de la perte, ces récits transforment la page en espace funéraire, où s’inscrivent autant les vestiges du disparu que les fissures de ceux qui survivent. Chaque cas étudié – le deuil périnatal (Billy, Me and You), la chronicité morbide (Last Things), ou la déchéance sénile (Special Exits) – déploie une sémiotique singulière de l’effritement, oscillant entre trace matérielle et performance mémorielle. Si Streeten, Moss et Farmer adoptent des stratégies esthétiques distinctes, toutes trois reconfigurent la bande dessinée en thanatopolitique du quotidien, où le cadavre textuel et iconographique devient à la fois sépulcre et manifeste. Entre palimpseste mélancolique et satire des normes funèbres, ces œuvres n’exhument pas seulement la mort ; elles en font un acte de résistance graphique. Les autopathographies graphiques transforment la matérialité du support en espace mémoriel. Par des stratégies d’archivage visuel (scans, accumulations, hybridations), elles érigent la page en tombeau symbolique où s’inscrit la lutte contre l’effacement.

Dans Billy, Me and You (2011), Nicola Streeten déploie une véritable poétique du fragment, où le style graphique volontairement « enfantin » et l’insertion de scans d’objets réels – vêtements, jouets, éléments du quotidien  (L’histoire est ponctuée de scans photographiques des objets de Billy.) – composent une archéologie visuelle du deuil. Ces éléments matériels agissent comme des « traces », au sens derridien du terme, c’est-à-dire qu’ils témoignent d’une présence disparue tout en manifestant l’irréductibilité de l’absence (Derrida, 1995). Le scrapbook devient ainsi l’incarnation graphique de cette dialectique vie/mort où chaque fragment devient un « tombeau portatif », forme de résistance tangible à la réduction du deuil à un processus clinique normatif, tel que théorisé par Kübler-Ross qui imposée comme une figure majeure de la thanatologie et des soins palliatifs, notamment grâce à l’élaboration de son modèle des cinq étapes du deuil, qui met en lumière les émotions traversées par les individus confrontés à la mort ou à la perte d’un proche.. Ce roman graphique, profondément autobiographique – voire autopathographique – relate la mort soudaine du fils de l’autrice, Billy, et les tentatives de Streeten et de son mari John pour affronter cette perte. Le titre lui-même, Billy, Me and You, suggère une triangulation du deuil : l’énonciatrice, l’enfant disparu, mais aussi un vous fluctuant, qui désigne tantôt le conjoint endeuillé, tantôt le lecteur convoqué dans l’espace du chagrin. Ce qui rend ce récit si singulier ne réside pourtant pas seulement dans la représentation de la douleur, mais dans l’usage inattendu de l’humour et de l’absurde pour évoquer l’expérience du deuil. À ce titre, la notation sarcastique des formules de condoléances – 10/10 pour « désolé », -20/10 pour « je peux imaginer ce que vous ressentez » – constitue une stratégie narrative de distanciation ironique, qui transforme le vécu intime en manifeste politique, dénonçant la maladresse sociale face à la mort et la marginalisation des endeuillés dans une société fondamentalement thanatophobe. Cette subversion des scripts émotionnels, que Judith Butler éclaire à travers le prisme de la performativité du deuil (Vie précaire, 2004), redéfinit les contours du dicible et confère à l’humour noir une fonction critique et transgressive. Sur le plan graphique, le style naïf de Streeten – proche du dessin d’enfant – confère une apparente simplicité au récit, tout en évoquant les souvenirs de Billy, comme si l’on feuilletait un journal intime fabriqué à la main plutôt qu’un roman graphique standardisé. L’histoire, ponctuée de scans photographiques des objets du garçon, place sa mémoire au cœur du dispositif narratif, chaque objet scanné devenant une trace concrète, une cicatrice visuelle du manque. Cette matérialité soutient l’idée que le chagrin s’éprouve dans les objets et les gestes, et que ces derniers peuvent en constituer des relais durables. La temporalité du récit épouse elle aussi les fractures de l’expérience traumatique : la fragmentation séquentielle, le rythme saccadé et les blancs intericoniques miment l’ellipse du travail de deuil, chaque case fonctionnant comme une « sépulture symbolique » dans un tressage iconique au sens de Groensteen (1999), où le souvenir est simultanément conservé et enseveli. La métaphore du vase brisé, opposé au vase intact, synthétise cette temporalité irréparable, marquée par une faille que rien ne vient combler : « lequel est normal ? » demande Streeten, interrogeant non seulement la normalité du deuil, mais aussi celle de la parentalité amputée. Si l’œuvre semble cathartique dans sa forme, l’autrice souligne pourtant que le processus de création ne le fut pas immédiatement : le récit fut écrit plus d’une décennie après la perte, à partir de journaux initialement mis de côté, incapables d’être relus. Ce décalage souligne le pouvoir différé – et potentiellement thérapeutique – du médium graphique, qui permet ici de transmuter une douleur indicible en objet narratif partageable. Car au cœur de ce travail profondément incarné, résonne la conviction que « le chagrin est à partager » : encore faut-il pouvoir en comprendre les formes, les détours, et s’y relier. C’est dans cet espace d’entre-deux – entre texte et image, entre souvenir et absence, entre intimité et adresse – que Billy, Me and You érige une poétique de la cicatrice, où l’art devient lieu d’inscription du manque, mais aussi surface d’accueil pour une mémoire vivante.

Figure 1. Billy, Me & You, Nicola Streeten, 2011, p. 76.

Dans Last Things (2007), Marissa Moss propose un récit autopathographique poignant centré sur les derniers mois de vie de son mari Harvey, atteint de sclérose latérale amyotrophique (SLA), et sur la manière dont cette maladie dégénérative affecte non seulement le corps du malade, mais aussi l’équilibre affectif et psychologique de la cellule familiale. Bien que le récit prenne la forme d’une chronique d’amour et de perte, il déconstruit les attentes associées à ce type de narration, reléguant l’amour au second plan pour mieux explorer la condition de la soignante et le bouleversement existentiel qu’implique l’accompagnement vers la mort. Moss adopte un point de vue subjectif assumé, celui de l’épouse et de la mère, confrontée à l’usure progressive de l’autre, tout en essayant de préserver une forme de stabilité pour ses trois enfants, dont le plus jeune, âgé de six ans, peine à saisir la gravité de la situation. La force du récit réside dans la manière dont il mêle intimité familiale et portée universelle, notamment à travers l’usage combiné de photographies personnelles et de croquis simplifiés. En effet, la dialectique intime/universel ancre le récit dans une subjectivité tout en créant une porosité identificatoire. Cette hybridité graphique, qui révèle les visages réels derrière les figures dessinées, contribue à créer une dialectique du singulier et du collectif, de l’individuel et du partageable, rejoignant les réflexions de Susan Sontag sur la fonction des images dans l’expérience de la maladie (Regarding the Pain of Others, 2003). Le dispositif iconotextuel ne se contente pas de relayer l’émotion : il subvertit les codes de la représentation clinique. L’exemple le plus marquant en est la « roue de la malchance », pastiche cruel et satirique des taxinomies médicales (DSM-5), qui représente Harvey en flèche tournoyante sur une roue de fortune des diagnostics, soulignant l’incertitude tragique et l’absurdité parfois kafkaïenne des parcours médicaux, réduisant de ce fait le diagnostic à une loterie macabre (Sontag, 2003,  p. 87). Ce choix graphique manifeste une critique implicite de la rationalité biomédicale et introduit un registre de l’humour noir, que le médium de la bande dessinée permet d’actualiser avec une efficacité percutante. Par ailleurs, Moss traduit visuellement les effets de la SLA par un démembrement séquentiel du corps de Harvey, fragmentant graphiquement ses capacités jusqu’à leur effacement total. Cette stratégie rejoint les analyses de Scott McCloud (1993) sur le potentiel de la bande dessinée à décomposer le mouvement et le temps, mais l’applique ici à une anatomie du déclin plutôt que de l’action. Toutefois, malgré la puissance de certaines séquences, l’œuvre souffre parfois d’un déséquilibre entre texte et image : les planches sont parfois trop denses, et l’illustration ne parvient pas toujours à dépasser le statut d’accompagnement du texte narratif. Cela n’amoindrit cependant pas la valeur du récit dans le champ de la médecine graphique, que Last Things contribue à enrichir par son traitement sans fard de la maladie, du soin et de la fin de vie. Refusant toute posture édifiante ou consolatrice, Moss inscrit son œuvre dans une perspective lucide, où l’acte de raconter ne vise ni la guérison symbolique ni la catharsis immédiate, mais l’élaboration d’une mémoire, celle des dernières choses, ces instants fragiles que l’on tente de retenir sans jamais savoir lequel sera le dernier. À travers ce travail d’inscription narrative du deuil, Last Things participe à une poétique de la cicatrice, où l’image devient à la fois support du témoignage, lieu de résistance à l’oubli, et médium d’un partage sensible de l’expérience extrême.

Figure 2 & 3. à droite,« Roue de la malchance », Last Things, Marissa Moss, 2017.

Dans Special Exits (2010), Joyce Farmer propose une œuvre autopathographique d’une densité exceptionnelle, fruit de treize années de création, au cours desquelles elle accumule minutieusement les détails dans chaque case, à l’image des protagonistes Lars et Rachel qui conservent les objets « au cas où ils deviendraient utiles ». Cette surcharge visuelle ou esthétique de l’accumulation forme un palimpseste du déclin. En effet, chaque page (composée en moyenne de huit cases minutieusement dessinées) devient un espace saturé où s’inscrit le déclin progressif de deux corps vieillissants. Le récit met en scène l’accompagnement par Laura – double fictionnalisé de l’autrice – de son père Lars et de sa belle-mère Rachel, tous deux octogénaires, dans leur descente vers la fin de vie. Bien que Laura ne soit que la fille de Lars issue d’un précédent mariage, elle prend soin de Rachel comme d’un parent biologique, dans un geste de dévouement silencieux qui traverse l’ensemble de l’ouvrage. Farmer, sans jamais sombrer dans l’apitoiement, parvient à transmettre avec acuité la tension affective du rôle de soignant : l’exaspération douce devient la réaction par défaut de Laura, masquant sous une façade de gaieté les effets cumulés de la fatigue, de la solitude et de la pression morale. Cette tension est perceptible dans les expressions de son visage, soigneusement travaillées, et s’accentue lorsqu’elle quitte le domicile de ses parents où la façade cède, et le poids du soin devient visible. Pourtant, Farmer ne réduit pas le récit à un simple témoignage du fardeau du caregiving. Elle restitue avec une grande justesse les subjectivités de Lars et Rachel, leur manière propre d’anticiper la mort, de résister à leur effacement, mais aussi de s’irriter, de se souvenir, d’aimer. Cette densité testimoniale s’accompagne d’une éthique du soin, marquée par une profonde retenue narrative face à la tentation du spectaculaire ou du pathétique. Farmer refuse de centrer le récit sur sa propre douleur, préférant une posture d’effacement qui permet aux figures de Lars et Rachel de conserver toute leur complexité humaine. Elle intègre ainsi des souvenirs de jeunesse des deux personnages, rendant perceptibles leurs trajectoires de vie, leurs contradictions, leur humour, leur dignité et leurs travers. Elle va jusqu’à situer leur regard sur des événements historiques, notamment les émeutes de Los Angeles en 1992 vues depuis leur maison, lorsque, privés d’électricité, Rachel – devenue aveugle – et Lars – déjà malade – se retrouvent enfermés, impuissants et terrifiés dans un quartier à feu et à sang. Cette séquence, particulièrement marquante, ancre le récit dans une historicité concrète, articulant le déclin individuel à une mémoire collective. Par ailleurs, Farmer critique la déshumanisation institutionnelle du soin, en dénonçant avec subtilité l’indifférence des médecins et des structures hospitalières. L’exemple où Laura doit coller un mot sur le lit de sa mère pour signaler qu’elle est aveugle et doit être nourrie constitue un symptôme édifiant de cette violence bureaucratique. Cette séquence, banale en apparence, révèle pourtant une profonde dépossession de la personne malade, réduite à un corps à gérer. Dans une perspective foucaldienne (1963) , cette situation illustre la manière dont les institutions médicales produisent des formes de pouvoir fondées sur la catégorisation, la normalisation et l’oubli de la singularité des individus. L’iconotexte développé par Farmer participe à cette entreprise de résistance. En effet, le style réaliste, éloigné des codes caricaturaux ou stylisés de la bande dessinée classique, confère à l’œuvre une gravité mélancolique à travers la mise en scène de l’effacement (Blanchot, 1955 : 129). Le trait précis, l’attention portée aux objets, aux décors, aux plis du visage, créent une atmosphère d’effacement progressif, au sens blanchotien du terme. Ce n’est pas la mort qui fait rupture, mais l’inscription continue de la perte dans le quotidien : le réel se défait lentement, par micro-érosions successives. Farmer traduit cela en multipliant les scènes apparemment anodines, où la normalité est lentement rongée – comme lorsque Lars constate, après 85 pages, que le déclin se fait « par petites étapes », ce qui lui permet de s’y habituer. Toute personne ayant accompagné des proches dans la vieillesse reconnaîtra ce schéma insidieux du déclin, mais aussi les conflits moraux qu’il engendre, notamment lorsque les soins à domicile deviennent insuffisants et que la nécessité d’un placement s’impose, dans un climat de culpabilité et de résignation. Vers la fin de l’ouvrage, alors que l’inévitable s’approche, Farmer continue à surprendre le lecteur par des retournements discrets. Lars et Rachel, loin d’être figés dans une posture de victimes passives, réservent encore des gestes inattendus, des sursauts d’existence, des révélations qui bouleversent la perception d’une vie entière. La narration, tout en retenue, n’élude rien de la lente dissolution des êtres, mais elle refuse également de clore le récit sur une tonalité univoque. Peut-être aurait-on pu souhaiter une exploration plus approfondie des sentiments de Laura, mais cette retenue est un choix délibéré de l’autrice, qui inscrit son récit dans une poétique de la cicatrice : une écriture du soin, de l’usure, du silence et de la mémoire, où l’accumulation des détails visuels devient un geste d’amour, de fidélité et de résistance. Farmer construit ainsi un monument discret à la vulnérabilité humaine, où chaque case est une chambre, chaque objet une trace, chaque regard une survivance.

Figure 4. Special Exits, Joyce Farmer, 2010.

  1. Corps en lutte, des résistances somatiques

Le corps malade, traditionnellement soumis aux discours médicaux ou sociaux, y devient un champ de bataille sémiotique. Par la déformation stylistique, l’humour ou le glamour, les auteurs renversent les stigmates en armes critiques. L’analyse des représentations graphiques de la maladie et du vieillissement révèle une dialectique complexe entre aliénation et réappropriation corporelle. Cette section interroge la manière dont le médium bande dessiné, par ses spécificités sémiotiques, permet une resignification politique du corps souffrant. Loin des récits médicaux conventionnels, les œuvres de Chast et Marchetto déploient des stratégies esthétiques subversives qui transforment l’expérience somatique en espace de résistance. Par l’hybridité des registres (du grotesque au glamour) et la manipulation des codes visuels, ces créations déconstruisent les imaginaires normatifs de la déchéance physique. Le corps malade ou vieillissant y devient le lieu d’une reconquête identitaire, où la vulnérabilité assumée se mue en puissance narrative.

L’ouvrage de Roz Chast Can We Talk About Something More Pleasant? (2014), se présente comme une hybridité formelle entre le journal intime graphique et une esthétique du chaos gériatrique, mêlant continuité narrative et fragmentation visuelle. Ce mélange permet de traduire, sur le plan sémiotique, la désorganisation inhérente au vieillissement et à la déchéance physique. Le ton adopté relève d’un humour noir, mobilisé comme arme anti-stigmatisation du grand âge, conformément à la perspective défendue par Couser. La thanatopolitique y est manifeste : le lit de mort se mue en espace de réconciliation impossible, selon l’acception de Lacoue-Labarthe (1987), révélant un dernier moment de tension affective plus que de résolution. Le récit, brut et sombrement humoristique, retrace les dernières années de vie des parents âgés de l’auteure. Les lecteurs ayant connu des situations analogues peuvent y reconnaître des scènes familières, Chast y dépeignant la perte progressive d’autonomie et de lucidité, mais aussi la trame émotionnelle complexe faite de honte, ressentiment, culpabilité et peur, aggravée par les incertitudes financières. L’auteure convoque des références littéraires denses : une citation de Proust et surtout la célèbre incise inaugurale de Anna Karénine de Tolstoï — « Les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon » —, qui résonne avec l’originalité de l’histoire familiale racontée ici. Le livre atteint son point culminant dans une scène discrètement dévastatrice, située presque sur le lit de mort, entre la mère et la fille, qui entérine l’écart irréconciliable qui les sépare, ce qui opère un renversement derridien (1967) où le silence devient trace négative de l’irréconciable. La vieillesse, loin d’être idéalisée, est décrite comme un processus inéluctable de perte et de séparation où « vieillir » devient une lourde épreuve existentielle. Le sentiment d’intimité est accentué par la forme diaristique. La structure mêle des cases narratives continues à des illustrations isolées, blocs de texte, dessins d’observation, photographies, diagrammes et autres éléments paratextuels, le tout inscrit dans un trait graphique nerveux et agité, parfois proche de la vibration, traduisant plastiquement le poids de la misère et de l’anxiété. Cependant, l’ouvrage ne se cantonne pas au tragique. Le sens aigu de la comédie de Chast perce à travers des éclats d’absurdité, y compris dans les instants les plus sombres : ainsi cette scène où sa mère, habituellement privée d’appétit, est surprise en train de savourer avec une joie inattendue un sandwich au thon préparé par sa soignante. Dans un humour noir, cette scène désacralise le tabou gériatrique, évitant le piège du pathos (Couser, 2005). Ces respirations comiques, loin d’atténuer le drame, en soulignent paradoxalement la profondeur et l’humanité.

Figure 5. Can We Talk About Something More Pleasant? Roz Chast, 2014

L’autopathographie graphique de Marisa Acocella Marchetto Cancer Vixen (2006),s’inscrit dans une autofiction glamoureuse, où la palette pop et l’attention portée à la coiffure deviennent un manifeste anti-victimaire. La narration visuelle mobilise un univers saturé de couleurs éclatantes, affirmant la continuité du style personnel de l’auteure face à l’épreuve médicale. Le récit part d’une question inaugurale : que se passe-t-il lorsqu’une dessinatrice new-yorkaise, obsédée par les chaussures, le rouge à lèvres, le vin, les pâtes et la mode, sur le point de se marier après des années de célibat revendiqué, découvre une grosseur dans son sein ? Cette intrigue met en place une tension entre la vie mondaine survoltée et la soudaineté de la maladie. Le parcours de Marchetto, qui s’étend sur onze mois du diagnostic à la guérison, est narré avec un humour transgressif, rompant les tabous entourant le cancer du sein. Ce n’est pas seulement une chronique médicale, mais également un portrait social d’une Manhattanite : déjeuners animés avec l’équipe du New Yorker, immersion dans la foule étoilée du restaurant Da Silvano, et surtout, le détail significatif des escarpins arc-en-ciel portés pour ses séances de chimiothérapie. Cette esthétique ostentatoire matérialise un corps-marchandise — selon une perspective butlérienne— où le féminin performatif est simultanément assumé et critiqué : se faire perfuser en Jimmy Choo devient un geste politique et ironique. Trois semaines avant son mariage avec Silvano, propriétaire du restaurant Da Silvano, le diagnostic bouleverse ses certitudes. Les questions qui surgissent — « Comment va-t-il réagir ? Vais-je survivre ? Et… que dire de mes cheveux ? » — révèlent l’articulation entre anxiété médicale et préoccupations identitaires. L’ouvrage refuse toute posture victimaire, revendiquant l’identité de « renarde du cancer ». La représentation du traitement — chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie — est frontale, riche en détails, et s’accompagne d’une réflexion sur la diversité des réactions physiques et psychologiques face à la maladie. Certains patients reprennent vite, d’autres s’effondrent, d’autres encore doivent accepter un diagnostic terminal. La cicatrice narrative se déploie dans la réappropriation érotique des marques corporelles, rejoignant la réflexion de Nussbaum (1989) sur le corps vécu. En effet, loin d’effacer ou de masquer les traces de l’opération, Marchetto intègre les cicatrices représentées en rose pailleté dans une narration visuelle qui conjugue vulnérabilité et désirabilité, incarnant ainsi la « poétique de la cicatrice ». L’ensemble compose un témoignage qui est à la fois mode d’emploi de survie et déclaration d’indépendance stylistique. Le récit se fait chrysalide où le corps-marchandise se mue en corps-agent, déjouant les scripts victimaires.

Figure 6. Cancer Vixen, Marisa Acocella Marchetto, 2006.

  1. Cartographies de l’ombre, des détresses psychiques

L’émergence récente de récits graphiques explorant les troubles psychiques et alimentaires constitue un tournant dans la représentation de la maladie mentale. Ces œuvres, à mi-chemin entre témoignage intime et recherche esthétique, transforment la page en espace clinique où s’expérimentent de nouvelles formes de savoir corporel. En faisant du langage visuel lui-même le symptôme des pathologies décrites, elles échappent aux écueils du misérabilisme comme de la glorification romantique, proposant plutôt une phénoménologie dessinée de l’expérience trouble. Les œuvres de Green, Forney et Cunningham, par leurs dispositifs visuels distincts, interrogent la possibilité d’une représentation non réductrice de la maladie mentale, entre témoignage intime et déconstruction des stéréotypes culturels. Ces œuvres dépassent la simple écriture testamentaire et métamorphosent la blessure en cicatrice féconde, faisant de la case un espace de renaissance symbolique.

Lighter Than My Shadow de Katie Green (2013), se construit comme une sémiotique de la faim, où les distorsions corporelles et les reflets dans le miroir composent une véritable topographie visuelle de l’anorexie. Green déploie un dispositif iconographique fondé sur un nuancier de gris, dont les variations chromatiques rendent perceptible la graduation de la dépression, dans une perspective que l’on peut rapprocher de l’analyse de Groensteen (1999) sur la valeur narrative de la couleur. Le récit embrasse une temporalité longue, retraçant plusieurs cycles de lutte contre le trouble alimentaire. Les premières scènes montrent l’enfance de Katie : refus silencieux de s’alimenter à table, dissimulation de nourriture dans sa chambre, simulacres d’acceptation du repas, confrontations verbales avec ses parents. À l’adolescence, l’anorexie s’impose à travers un comptage obsessionnel des calories, des privations alimentaires, un exercice physique compulsif, un surinvestissement académique, au prix d’un effondrement physique et psychique. Cette spirale mène à son retrait du système scolaire et à la nécessité d’une prise en charge médicale et psychologique. L’itinéraire se complexifie lorsque, cherchant à s’émanciper de ses parents, Katie se tourne vers un guérisseur alternatif dont les méthodes s’avèrent douteuses, avant d’intégrer une école d’art. Mais l’anorexie demeure un spectre persistant, envahissant son quotidien et parasitant ses pensées. Les séquences graphiques traduisent avec une précision innovante l’expérience subjective de la maladie dont la sensation de faim dévorante, la dissociation du corps et de soi et l’altération de l’image spéculaire. Le trait de Green, à la fois délicat et incisif, matérialise l’intensité de la souffrance avec un rare pouvoir immersif. La fin adopte une ouverture narrative : sur un ton doux et légèrement optimiste, mais en refusant le « happy end » conventionnel, l’auteure affirme la fragilité de la rémission et en institue une esthétique (Blanchot, 1980 : 7). Cette posture témoigne d’un refus de réduire la maladie à un simple épisode révolu, inscrivant plutôt le trouble dans une temporalité chronique et vigilante. Lighter Than My Shadow devient ainsi une œuvre à la fois intime et politique, dévoilant un mal tabou, souvent occulté par la honte, et rappelant que toute existence peut, par un enchaînement de circonstances, glisser du banal vers le mortifère. Par la richesse de sa narration visuelle et la gravité de son propos, Green propose un récit qui conjugue dimension thérapeutique et puissance de témoignage.

Figure 7. Lighter Than My Shadow, Katie Green, 2013.

Le récit autopathographique graphique de Ellen Forney Marbles: Mania, Depression, Michelangelo, and Me (2012), se déploie comme une stylistique bipolaire, où l’oscillation graphique — du trait frénétique et foisonnant des phases maniaques à la rigidité formelle des séquences produites sous lithium — traduit visuellement une métamorphose pharmacologique. Dès les premières planches, Forney adopte un ton confessionnel direct, l’annonce de son diagnostic de trouble bipolaire survenant très tôt dans la narration. Cette révélation la déstabilise, bien qu’elle reconnaisse rapidement la correspondance quasi parfaite entre ses symptômes et les critères énumérés dans les manuels diagnostiques, ainsi que leur récurrence dans l’histoire familiale maternelle. Dans un premier temps, l’auteure investit ce diagnostic d’une aura romantique, en l’associant à la figure de nombreux créateurs historiques (Van Gogh, entre autres) ayant partagé la même condition. Toutefois, cette mythification initiale s’accompagne d’une démystification du mythe romantique de la folie créatrice. En effet, Forney confronte le cliché de la « folie créatrice » à la réalité tragique des suicides ou tentatives de suicide qui jalonnent ces trajectoires. La construction graphique du récit est délibérément orchestrée : les premières pages, saturées d’une énergie visuelle quasi diaristique, restituent l’urgence de l’aveu et la prolifération des idées. Après l’introduction du lithium, la narration se stabilise dans un format plus régulier de cases et de vignettes, matérialisant graphiquement l’effet modérateur du traitement. Forney, initialement réticente à accepter cette médication par crainte de voir sa créativité étouffée, finit par reconnaître la gravité de son état et consent à cette intervention thérapeutique. Les passages consacrés à la dépression prolongée sont enrichis par l’insertion de dessins réalisés près d’une décennie auparavant, au cœur même de l’épisode dépressif, conférant au texte une dimension d’archive personnelle. L’un des fils narratifs les plus marquants est la tension entre préservation de la créativité et stabilisation de la santé mentale : Van Gogh, figure récurrente, y incarne la beauté fulgurante mais coûteuse d’une inspiration exacerbée par la souffrance psychique. Forney raye son nom d’une liste d’artistes suicidés, opérant une démétaphorisation de la maladie (Sontag, 1978). Sur le plan de l’agentivité, l’œuvre illustre la performativité du trouble au sens butlérien. En effet, Forney découvre que la révélation publique de sa bipolarité suscite non pas rejet et isolement, mais empathie et compréhension, offrant un modèle positif de visibilité. La fin du récit la montre dans un état d’acceptation pragmatique, consciente de ses limitations et priorisant ses choix de vie, ce qui inscrit Marbles dans un registre de rédemption réaliste, dépourvu de résolution miraculeuse. L’ouvrage présente cependant quelques faiblesses liées à des digressions confessionnelles. L’exemple le plus notable est une longue séquence décrivant une séance photo destinée à fournir des références pour une bande dessinée érotique, suivie d’un épisode où la vie imite l’art. Cet insert, qui met en scène une nudité gratuite et semble relever d’une posture d’autosatisfaction, apparaît déconnecté des enjeux narratifs principaux. Ces parenthèses, bien que moins fréquentes en fin de récit, jalonnent encore l’ouvrage par moments. Marbles se lit autant comme un témoignage autobiographique que comme un manuel d’auto-assistance. Forney y montre qu’un trouble bipolaire, loin de se réduire à une fatalité destructrice, peut être apprivoisé par un long processus d’ajustement, exigeant une résilience considérable mais ouvrant la voie à une existence presque ordinaire. Par sa combinaison de franchise clinique, d’inventivité graphique et de lucidité critique, l’ouvrage s’impose comme un exemple majeur de bande dessinée autopathographique graphique ou autobiographique engagée dans la représentation de la santé mentale.

Figure 8. Marbles, Ellen Forney, 2012.

L’ouvrage Psychiatric Tales de Darryl Cunningham (2010), s’inscrit dans une tradition d’autopathographie graphique dont la visée excède la simple confession individuelle pour se constituer en outil de transmission et de sensibilisation. Il mobilise une pédagogie noire — un minimalisme graphique en noir et blanc, dépouillé à l’extrême — qui confère au récit un ton clinique et évite toute surenchère pathétique, tout en renforçant l’impact cognitif et émotionnel des scènes décrites. L’économie visuelle, associée à un langage sobre et dépourvu de dramatisation excessive, permet d’exposer frontalement des réalités psychiatriques souvent occultées, rendant l’ouvrage accessible à un lectorat élargi tout en maintenant une forte densité informationnelle. Ce dépouillement formel soutient un propos didactique structuré en courts chapitres, chacun dédié à une pathologie précise : dépression, automutilation, trouble bipolaire, trouble de la personnalité antisociale, schizophrénie. Cunningham s’appuie sur son double statut de soignant et de ex-patient, opérant ainsi un renversement des hiérarchies épistémiques où l’autorité narrative ne procède pas uniquement de la connaissance professionnelle, mais également de l’expérience vécue de la vulnérabilité (Foucault, 2003). Cette double posture, rarissime dans les récits graphiques de santé mentale, confère à son propos une légitimité plurielle, à la fois clinique et subjective. L’ouvrage déploie également une iconographie politique visant à déconstruire la stigmatisation historique des troubles mentaux. L’exemple le plus marquant en est la mention de Winston Churchill, dont Cunningham avance qu’il présentait des symptômes compatibles avec le trouble bipolaire : alternance de périodes d’abattement profond et de phases d’énergie intense et de confiance inébranlable. Loin de réduire Churchill à sa condition, l’auteur montre comment cette oscillation a pu nourrir une force de caractère décisive dans sa conduite de la guerre. À cette figure politique s’ajoutent des références à Judy Garland et Nick Drake, illustrant le lien ambivalent entre fragilité psychique et production artistique — lien qui, bien qu’historiquement attesté, est ici traité sans romantisation naïve. Le minimalisme visuel se double d’une inventivité symbolique notable. Ainsi, la simple silhouette d’une lame de rasoir, accompagnant le mot « Cut », se révèle plus puissante qu’une représentation réaliste, laquelle risquerait de verser dans le sensationnalisme ou le voyeurisme. De même, les rayures des chemises des Beach Boys se transforment en barreaux de prison enfermant Brian Wilson ; une séquence sur la schizophrénie juxtapose une illustration médicale du cerveau, un labyrinthe, un mot croisé se désagrégeant, et enfin des structures moléculaires, métaphore visuelle de la complexité et de la déstructuration cognitive. Le ton narratif alterne entre gravité et humour caustique, témoignant d’une maîtrise rare de l’équilibre entre engagement émotionnel et distance analytique. Si certaines descriptions — telles que celle d’un patient se frappant la tête avec un marteau pour échapper à une souffrance psychique plus intense que la douleur physique — sont d’une brutalité clinique, elles sont contrebalancées par une empathie palpable et un souci constant de compréhension. La conclusion de l’ouvrage, lorsque Cunningham exhorte ses lecteurs à « chercher au plus profond » les ressources intérieures nécessaires à la survie — talents, espoirs, rêves, désirs — « Parce que ce sont ces choses qui vous sauveront », cristallise la tonalité générale de Psychiatric Tales, un texte qui ne nie ni la douleur ni la désespérance, mais qui affirme la possibilité d’une résilience ancrée dans l’identité et la créativité— ici, une « poétique de la cicatrice » où la trace visuelle et narrative devient mémoire, reconnaissance et résistance à l’effacement.

Figure 9. Psychiatirc Tales, Darryl Cunningham, 2010, p.6.

  1. Synthèse

L’analyse sémiotique du corpus fait émerger trois résultats convergents qui, ensemble, viennent à la fois confirmer et affiner nos hypothèses initiales. Premièrement, elle révèle une reconfiguration des relations entre texte, image et douleur : dans les œuvres étudiées, la souffrance devient un espace de médiation sémiotique où la blessure, cessant d’être un simple signe d’échec, se mue en marque de survivance ; un rythme séquentiel fragmenté et des vides intericoniques y traduisent la temporalité différée du trauma (Caruth, 1996), permettant à la douleur, indicible dans le seul langage verbal, de trouver dans l’iconotextuel un régime d’expression qui en restitue la complexité phénoménologique. Deuxièmement, émerge une esthétique de la vulnérabilité : le corps souffrant, naguère confiné au silence clinique, s’y présente comme un acteur esthétique à part entière — la cicatrice devenant une forme de discours ; par la plasticité du trait et l’usage symbolique de la couleur, la douleur s’inscrit dans la page comme une texture visuelle, produisant une véritable œuvre, rejoignant en cela la perspective d’Elaine Scarry (1985) pour qui la mise en visibilité de la souffrance restaure la capacité du corps à signifier le monde. Troisièmement, se manifeste une agentivité politique et éthique renouvelée : les autopathographies graphiques contribuent à désobjectiver le sujet malade, substituant au regard médical un contre-regard narratif et critique ; le geste graphique y fonctionne comme une reprise de parole, faisant du corps dessiné un lieu de résistance à la déshumanisation biomédicale, en écho à la notion d’agentivité de la vulnérabilité développée par Judith Butler (2004). In fine, ces résultats nous conduisent à considérer la poétique de la cicatrice non seulement comme un paradigme esthétique, mais aussi comme un dispositif épistémologique : le médium graphique, par l’entrelacement du texte et de l’image, reconstruit la mémoire corporelle et restitue une voix au corps souffrant ; ainsi, l’autopathographie graphique ne se borne pas à documenter la maladie — elle produit un savoir à partir de la blessure, convertit la douleur en forme de pensée et érige la cicatrice en opérateur d’une connaissance sensible.

Conclusion

Les autopathographies graphiques, qu’elles traitent de maladies somatiques ou psychiques, subvertissent les métarécits médicaux dominants – notamment le DSM-5 – en leur opposant une narration incarnée, où le corps et l’esprit souffrants luttent contre l’invisibilisation et retrouvent leur épaisseur existentielle. Par leur langage séquentiel (Eisner, 1985), elles transforment la marginalisation en résistance. L’image y devient un espace de réappropriation, que ce soit par la figuration crue des symptômes ou par la traduction métaphorique des troubles mentaux. Ces œuvres n’enrichissent pas seulement la compréhension des maladies ; elles en redéfinissent les modalités mêmes de représentation, comme le montre Krishnan & Jha (2022) à travers leur étude des « corps écrits » en bande dessinée. L’articulation entre données cliniques (incluses dans certaines planches) et expérience subjective y crée un dialogue inédit entre savoir médical et vécu patient – dialogue dont l’autopathographie graphique apparaît comme un terrain heuristique majeur.

Chaque analyse de ce corpus d’autopathographies graphiques s’inscrit dans une perspective herméneutique structurée par le concept de poétique de la cicatrice, envisagée comme matrice esthétique et symbolique où la mémoire blessée s’inscrit, se transmet et résiste à l’effacement. L’examen approfondi confirme la fécondité heuristique de cette notion en révélant comment chaque œuvre articule une dialectique féconde entre la trace testamentaire — assimilable au tombeau — et la dynamique de renaissance — figurée par l’utérus. Du côté du tombeau, les objets scannés chez Streeten, les photographies jaunies chez Moss ou encore l’accumulation obsessionnelle d’artefacts chez Farmer fonctionnent comme autant de reliquaires graphiques, matérialisant à la fois mémoire et perte. Inversement, la dimension utérine s’exprime dans l’humour cathartique de Chast, le glamour régénérateur mis en scène par Marchetto ou la fin ouverte proposée par Green, où affleure une puissance de régénération narrative.

Cette agentivité formelle engendre un contre-savoir incarné qui, d’une part, subvertit les métarécits médicaux — confrontation de Moss au DSM-5, résistance de Cunningham aux diagnostics réducteurs —, d’autre part, libère la parole marginalisée — dénonciation du scoring social chez Streeten, révélation publique orchestrée par Forney — et, enfin, invente des langages pour dire l’indicible — représentation de la dysmorphie chez Green, mutisme thanatographique chez Chast.

Le discours visuel et textuel donné à voir dans ces récits, empreint d’une douce violence, produit un oxymore déroutant où l’angoisse se fait paradoxalement attirante. La maladie y est à la fois expérience intime et réalité collective : si elle semble appartenir en propre au corps et à l’esprit déclinant d’un individu, sa perception et son expression linguistique sont inévitablement façonnées par des contextes sociaux, historiques et politiques.

Les récits pathologiques tissent de la sorte un réseau de significations entremêlant voix solitaires et discours extérieurs, que le sujet expérimente à la fois comme un tombeau et comme un utérus. Dans ce cadre, la poétique de la cicatrice se déploie selon une typologie articulée autour de trois modalités :

  • la cicatrice chirurgicale, où la blessure devient ornement (Cancer Vixen), dans une acception derridienne de la trace ;
  • la cicatrice temporaire, où le lithium agit comme suture pharmacologique (Marbles), dans les logiques foucaldiennes du biopouvoir ;
  • la cicatrice mémorielle, où l’objet quotidien se mue en relique (Special Exits), au sens noraïen des lieux de mémoire.

Cette typologie recoupe, tout en la dépassant, l’ancienne opposition entre œuvres-tombeaux (Last Things, où le lit de mort se fait autel domestique ; Billy, où les objets scannés deviennent reliques laïques ; Psychiatric Tales, où les schémas sont érigés en sépultures cognitives) et œuvres-utérus (Cancer Vixen, où la perruque rose figure une renaissance ; Can We Talk about something else ?, où l’humour agit comme liquide amniotique social ; Lighter than my shadow, où le gris clair final annonce une aube potentielle).

L’agentivité politique, moteur de cette esthétique, se manifeste à travers la désobjectivation médicale — subversion du DSM-5 par la « roue de la malchance » chez Moss —, la déstigmatisation sociale — scoring des réactions au deuil chez Streeten — et la reconquête genrée — féminité glamour comme armure chez Marchetto. Ce faisant, l’autopathographie graphique dépasse la fonction testimoniale pour devenir acte sémiotique révolutionnaire : la poétique de la cicatrice agit dans tout le corpus, et l’agentivité narrative y métamorphose la vulnérabilité en puissance politique.

Sur le plan épistémologique, ces récits ouvrent des perspectives critiques tout en révélant leurs angles morts — notamment l’absence de représentation des maladies infectieuses (VIH, COVID) et la prévalence des expériences urbaines occidentales. Les prolongements possibles incluent l’exploration des autopathographies numériques interactives, l’adoption d’une approche transculturelle (Poppies of Iraq), ainsi que leur intégration dans la formation médicale via la médecine narrative.

En définitive, ces récits graphiques font de la case une chambre d’échos où résonne la polyphonie des corps souffrants, transformant chaque strie du dessin en suture entre chair et langage, chaque planche en tribunal des normes médicales et chaque album en acte de naissance d’une subjectivité reconquise. L’histoire personnelle de la maladie imprime sa marque indélébile aussi bien sur l’écriture intime que sur la production savante ; il apparaît que chaque sujet soit porteur — pour ne pas dire gestant — de sa propre mort, condamné à lui donner naissance, que ce soit par l’expérience effective de la maladie, par l’épreuve de la perte réelle ou par la mise en scène esthétique de sa propre fin.

Références bibliographiques

  1. Anderson, L. (2001). Autobiography (1ʳᵉ éd.; The New Critical Idiom). Routledge.
  2. Anzieu, D. (1985). Le Moi-peau. Dunod.
  3. Blanchot, M. (1955). L’espace littéraire. Gallimard.
  4. Blanchot, M. (1980). L’écriture du désastre. Gallimard.
  5. Boidy, M. (2017). Les études visuelles. Presses universitaires de Vincennes. ISBN : 978-2-84292-735-6.
  6. Boumendjel, L. (2018). Le roman graphique : support pour développer l’oral chez les étudiants de licence de français [Thèse de doctorat, Université Frères Mentouri Constantine 1]. Université Frères Mentouri Constantine 1.   https://bu.umc.edu.dz/theses/francais/BOU1501.pdf
  7. Boumendjel, L. (2018). Le roman graphique : support pour développer l’oral chez les étudiants de licence de français [Thèse de doctorat, Université Frères Mentouri Constantine 1]. Université Mentouri Constantine 1, Algérie. https://bu.umc.edu.dz/theses/francais/BOU1501.pdf
  8. Butler, J. (2004). Precarious life: The power s of mourning and violence. Verso.
  9. Caruth, C. (1996). Unclaimed experience: Trauma, narrative, and history. Johns Hopkins University Press. https://doi.org/10.56021/9780801853772
  10. Charon, R. (2006). Narrative medicine: Honoring the stories of illness. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oso/9780195166750.001.0001
  11. Couser, G. T. (1997). Recovering bodies: Illness, disability, and life-writing. University of Wisconsin Press.
  12. Couser, G. T. (2005). Signifying bodies: Disability in contemporary life writing. University of Michigan Press.
  13. Czerwiec, M. K., Williams, I., Squier, S. M., Green, M. J., Myers, K. R., & Smith, S. T. (2015). Graphic medicine manifesto (Graphic Medicine Series, No. 1). Penn State University Press. https://doi.org/10.5325/j.ctv14gpf04
  14. De Man, P. (1984). The rhetoric of romanticism. Columbia University Press.
  15. Derrida, J. (1967). De la grammatologie. Éditions de Minuit.
  16. Derrida, J. (1995). Mal d’archive : Une impression freudienne. Galilée.
  17. Derrida, J. (1998). Demeure : Maurice Blanchot. Galilée.
  18. Derrida, J. (1967), Voix et phénomène, PUF.
  19. Eisner, W. (1985). Comics and sequential art. Poorhouse Press.
  20. Foucault, M. (1963) .Naissance de la clinique, PUF.
  21. Foucault, M. (1963). Naissance de la clinique. Presses universitaires de France.
  22. Foucault, M. (2003). Le pouvoir psychiatrique : Cours au Collège de France (1973-1974). Gallimard/Seuil.
  23. Girard, R. (1972). La Violence et le sacré. Grasset.
  24. Green, M. J. (2015). Graphic medicine as a means to reclaim agency. In M. K. Czerwiec, I. Williams, S. M. Squier, M. J. Green, K. R. Myers, & S. T. Smith (Eds.), Graphic medicine manifesto (pp. 45-67). Penn State University Press.
  25. Groensteen, (1999) Système de la bande dessinée, PUF.
  26. Groensteen, T. (1999). Système de la bande dessinée. Presses universitaires de France.
  27. Krishnan, A. R., & Jha, S. (2022). Writing bodies, wording illness and countering marginalization: Graphic autopathographies as a genre. Journal of Graphic Novels and Comics, 13(6), 964–981. https://doi.org/10.1080/21504857.2022.2030381
  28. Kübler-Ross, E. (1969). On death and dying. Macmillan.
  29. Lacoue-Labarthe, P. (1987). La fiction du politique. Christian Bourgois.
  30. McCloud, S. (1993). Understanding comics: The invisible art. Harper.
  31. Mitchell, W. J. T. (1994). Picture theory: Essays on verbal and visual representation. University of Chicago Press. https://doi.org/10.2307/1576167
  32. Nora, P. (Dir.). (1984–1992). Les lieux de mémoire (Vols. 1-7). Gallimard.
  33. Nussbaum, F. (1989). The autobiographical subject: Gender and ideology in eighteenth-century England. Johns Hopkins University Press.
  34. Oates, J. C. (1999). Where I’ve been, and where I’m going: Essays, reviews, and prose. Plume.
  35. Scarry, E. (1985). The body in pain: The making and unmaking of the world. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oso/9780195036015.001.0001
  36. Sontag, S. (1978). Illness as metaphor. Farrar, Straus and Giroux.
  37. Tambling, J. (2001). Becoming posthumous: Life and death in literary and cultural studies. Edinburgh University Press.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *